Amok

Publié le par Ghislain Hammer

J’écris sur la rivière et s’en va le poème

Sous les chaudes amoks* et la menace d’or 

D’un ciel de fin d’été;  s’en va l’être que j’aime,

Descend le long du cours, et s’éloigne là-bas,

Derrière une forêt qui ne s’ouvrira pas.

 

Un pleur sur le genou, je m’assois sur la berge,

Le passé bien vivant cependant le temps mort ;

Et la foudre sur l’arbre allumant comme un cierge,

Je revois notre Amour qui vient de prendre l’eau

Descendre le courant pour éclater là-haut.

 

Sous les cornes d’orage, un autre arbre s’enflamme,

Et se propage vite à tous les résineux ;

Je regarde mes mains que le tonnerre acclame,

Ces doigts qui ont connu l’éphémère beauté,  

La vénusté sans nom d’une femme, en secret.

 

Autour de moi partout et tout rage et tout fume,

La rivière a séché, bu par le feu  des cieux ; 

L’azur noir flamboyant qui roule et qui s’écume

Brûle mon cœur autant que mes deux pauvres trous,

Mais plutôt vivre mort que vif sous les écrous !

 

Plutôt voir s’embraser l’endroit de nos luxures,

Ce lieu caché de tous où nous vivions couchés !

Plutôt n’entendre rien que les bois qui fissurent !

Plutôt sentir la cendre au vent jupitérien    

Que de respirer l’air du bonheur ancien.

 

Et l’incendie déjà qui m’encercle, et progresse

Ainsi que d’une bête aux yeux acérés,

Et que je psalmodie à ma tendre maitresse           

Des paroles que nul n’a besoin de savoir

 Comme nul n’a jamais su pour nous chaque soir.    

 

Je regarde mes mains, paumes halitueuses*,

Et tel qu’en un miroir d’un siècle conquérant

Réapparait dedans des images heureuses ;

Se redessine aussi la nature, et ressort

Notre histoire semblable à celle d’un trésor.

 

Je regarde mes mains, et le feu derrière elles.

Qui fond sur ma personne – au mieux, un bloc de sang,

Qui cache dans son dos de somptueuses ailes ;

Je regarde mes mains, et le feu qui grandit

Comme le souvenir m’enracine l’esprit.

 

Je regarde mes mains que l’obscurité drague

Et ce feu qui grandit, et grandit, et m’atteint,

Je regarde mes mains comme l’enfant la vague,

Je regarde la mer, les soleils, les flambeaux ;

Il y a des baisers ; il vogue des oiseaux ;

 

Je regarde les fleurs, la forêt,  la rivière ;

Il y a ton visage, et le soif et la faim ;

L’herbe est bleue, le ciel rouge, et la lune laitière ;

Je regarde mes feux que  je lève en criant :

« Je brûle, mon amour ! Je brûle comme avant ! 

 

Et mes yeux que pour toi s’éteignent sous les flammes. »   

                

 

*Amok : folie.

*Jupitérien : au caractère impérieux, dominateur.

*Halitueux : moite de sueur.

Publié dans Le souffle

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