L'autre espèce (Scènes 7 à 11)

Publié le par école Anatole France

Relire les scènes 1 à 6 :

L'autre espèce (Théâtre)

 

7

Dans le salon de Belline.

 

         Belline lit un magazine, Boniche dépoussière toujours.

 

BELLINE. (Sec) Dépoussière en silence, je te prie, je ne m’entends pas tourner les pages !

BONICHE. Pardonnez-moi, Madame.

-Silence-

BELLINE. (Riant) C’est incompréhensible. Amour, émotion, poésie, passion : Tous ces termes scientifiques me déconcertent.

BONICHE. Puis-je, Madame ?

BELLINE. Faîtes, Boniche, mais rapidement. Et pas les mains dans les poches.

BONICHE. Si je puis me permettre, que lisez-vous qui vous fasse tant d’effet ?

BELLINE.. Vous êtes bien curieuse.

BONICHE. Ma foi, chez notre espèce aussi, les défauts existent.

BELLINE. (Morte de rire) Préoccupez-vous déjà de trouver une qualité à votre existence. Cela sera déjà pas mal.

BONICHE. Nous rêvons, Madame, que nous sommes des personnes aussi talentueuses que vous. Nous y croyons parfois. Et puis, comme vous vous en doutez, nos défauts nous rattrapent. Et ils sont nombreux. 

BONICHE. Ma très chère, vous n’avez pas de défaut. Vous n’êtes rien. Expliquez comment un rien peut-il être moins que rien.

BELLINE. C’est impossible, en effet. La curiosité par exemple, on s’en sert pour nous donner envie, elle participe au rêve. Nous savons que c’est un défaut, mais au point de bassesse dans lequel nous vivons, nous l’assumons.

BONICHE. Vous m’êtes bien sympathique quand vous vous mettez à parler. Mais je préfère de loin quand vous vous taisez.

BELLINE. Moi aussi, je préfère. Je n’aime pas parler.

-Silence –

BELLINE. Un livre sur les roses.

BONICHE. Excusez-moi.

BELLINE. Je lis un livre sur les roses. Plus précisément sur les roses rouges. Ce qui m’étonne, c’est que je ne trouve rien qui parle d’argent.

BONICHE. (Qui prend confiance)    C’est tout naturel, Madame.  

BELLINE. Et pourquoi donc ?

BONICHE. Parce que vous avez acheté ce livre, qu’il vous en a coûté un certain prix, c’est en l’occurrence tout à fait normale que leurs auteurs ne dévoilent pas la vérité sur l’odeur des roses rouges. Mais  nous, chez notre espèce, nous le savons.

BELLINE. Vous savez des parfums que nous ne pouvons capter ?

BONICHE. Il suffit de ne pas acheter, mais de sentir, de sentir avec votre…

BELLINE. Ah non ! Ne me parle pas de nez !

BONICHE. Je dis simplement qu’il faut sentir pour le croire. Pour me croire.

Belline regarde furieusement Boniche

BONICHE. Je dépoussière, Madame, je dépoussière.

-Silence-

BELLINE. (A elle-même) « Les roses sont des êtres vivants. Les arroser avec tendresse ». Tendresse, voilà un étrange mot.  Boniche, tu veux bien me répondre.

BONICHE. Je n’ai pas le choix, Madame.

BELLINE. Très juste. Un truc me dérange sur ces choses.

BONICHE. Sur ces roses, vous voulez dire.

BELLINE. Passons. Ces Roses ont besoin d’eau ?

BONICHE. Ce sont des fleurs. Des êtres vivants. Elles sont comme votre compte en banque…

BELLINE. Enfin des paroles qui me sont familières !

BONICHE. Elles sont comme votre compte en banque, pour qu’elles grandissent, ou pour qu’elles fructifient si vous préférez, il leur faut des actions. Pour elles, une seule action suffit : les arroser.

BELLINE. Il faut donc investir, les placer !

BONICHE. Elles sont déjà bien placées sur votre table basse. Le but est maintenant de les arroser.

BELLINE. Pour qu’elles fructifient. Et plus j’en place, plus je gagne.

BELLINE. Vous avez tout compris. Les roses sentent l’argent, Madame. Ce serait désagréable de ne pas s’en occuper.

BELLINE. Et si je ne fais rien.

BONICHE. Elles fanent.

BELLINE. C’est horrible.

BONICHE. Mais de toute façon, les roses ne sont pas éternelles. Elles finissent toujours par céder à la volonté du temps.

BELLINE. Bien, je t’investie de cette tâche. Je veux qu’elles fanent le plus tard possible. Et puis laisse le nettoyage. Et va m’en chercher un magasin. Puisque ces choses…ces roses ne tiennent pas, autant en avoir en stock.

BONICHE. Elles faneront toutes en même temps. Dès qu’une meure, il vaut mieux en acheter une nouvelle.

BELLINE. Oh, tout cela me semble compliqué. Mais bon, cette mission est la tienne. Fais-moi honneur. Je t’augmenterai ton salaire de cent euros.  

BONICHE. Sur mille euros, cela fait 10%. C’est idéal tandis qu’approche  le Noël de mon fils que j’élève seule.

Belline fait tomber un objet qui se brise.    

BELLINE. (Très en colère) -25 % sur ta paie.

BONICHE. Je le mérite, Madame.

BELLINE. Non mais  quel travail tu me donnes !

Ritchie débarque dans le salon.

BELLINE. Ah, te voilà, chéri. On va enfin pouvoir y aller. Je commence à avoir honte avec ce sac-à-main !

Ritchie remarque les roses.

RITCHIE. Mais qu’est-ce que c’est ?

BELLINE. Des roses.

RITCHIE. Des quoi ?

BELLINE. Des roses rouges, chéri, des fleurs qui sentent l’argent, à qui l’on doit acheter une action chaque jour : l’arrosage.

RITCHIE. Et ça rapporte ?

BELLINE. Je ne sais pas. D’après ma conseillère, ça vaut largement le vase.

Ritchie. S’approche, attiré par sa curiosité.

BELLINE. Diantre ! Ne t’approche pas.

RITCHIE. Bon, on y va ou pas ?

BELLINE. Est-ce que je n’attendais pas Monsieur ?

Belline fixe une nouvelle fois très sévèrement Boniche qui ramasse les morceaux.

BONICHE. Je ramasse, Madame, je ramasse.

 

 

NOIR 

 

 

8

Dans le jardin

 

         Norman, le jardinier, un chapeau en paille sur le ventre, est étendu sur un bain de soleil.

 

NORMAN. Je ne sers à rien. M’occuper de la piscine, c’est bien beau. Mais je suis las. Et personne ne s’y baigne. Jamais personne ne s’y est d’ailleurs jamais trempé. A croire que cette famille mouille dans d’autres liquides plus amers. Si je pouvais prendre soin si ce n’est que d’un simple parterre de fleurs. Mais il n’y en a pas. Aucun. Les fleurs sont ici absentes comme les anges chez Satan. Ma passion, ce sont pourtant les fleurs. Ma passion, c’est de leur parler, de leur donner du pouvoir, de la force, de la beauté. C’est de les amener au sommet ! A l’Everest des possibles ! Qu’elles inondent les hommes d’un imaginaire réalisé. Ma passion, c’est qu’elles me répondent par un sourire olfactif et visuel ainsi que de gentilles vagues qui viennent s’étendre le long des grèves, des embruns plein mon visage. Ma passion, ce sont les roses. J’aime créer les roses, concocter de nouvelles variétés. Dans mon jardin, les roses sont partout, pas une ne ressemble à une autre,  chacune à son propre caractère, toutes, je les appelle affectueusement « mes enfants », toutes ont leur propre vie, et toutes font de la mienne un territoire  unique et un père comblé. Ici, je ne suis que l’ombre de moi, une ombre qui se dore au soleil. Ici, je ne sers à rien. Je ne fais rien, tellement rien que quand vient mon salaire, j’ai cette affreuse sensation que quelqu’un d’autre le dépense. Mais le plus tragique, c’est qu’en pointant chaque matin à ce travail, je m’éloigne à chaque fois un peu plus de l’odeur des mes enfants, comme si l’argent happait toutes les odeurs, mêmes les plus délectables.

 Je vous assure, parfois, devenir jardinier n’est pas synonyme de bon plan. Sauf le soir, quand on rentre chez soi, quand on quitte le monde, quand on quitte la Terre, quand germent les étoiles. Heureusement…

         Eléonore arrive derrière Norman, elle lui met ses mains devant les yeux.

ELEONORE. Heureusement que je suis quelqu’un que tu connais et que tu aimes. Qui suis-je ?

NORMAN. Laisse-moi deviner.

ELEONORE. Je suis une fille que tu as vu chez toi hier soir. Une fille que tu as planté, semé, et arrosé. Qui suis-je ?

NORMAN. Il n’y a pas de piège ?

ELEONORE. Nan. Je suis une personne qui vient de découvrir le sens des roses, la route des envoûtements, le chemin du cœur. Qui suis-je ?

NORMAN. Elle est au sud la réponse ?

ELEONORE. Nan, Elle est au nord. Elle a trouvée son nord. (Elle enlève ses mains.)

NORMAN. Eléonore. Eléonore. Ma fleur.

Ils s’embrassent.

NORMAN. Puisque je ne sers à rien ici,  tu sais, j’ai eu le temps de réfléchir. Et toutes mes réflexions me mènent à la même conclusion : Nous marier.

ELEONORE. Je t’aime, Norman, infiniment, mais nous ne sommes pas de la même espèce. Que dira père ?

NORMAN. Ton père est un assassin, il a créé le virus qui décime le monde.

ELEONORE. La pandémie, c’est lui ?

NORMAN. Oui, ma fleur, c’est bien lui. Je l’ai entendu. « Grâce à notre virus, notre vie va changer ! » qu’il disait à un complice. J’ai cru comprendre que cette personne au téléphone était le représentant de l’Humanité à l’ONU. Dans ses bribes, j’ai deviné les mots « dénatalité », « surpeuplement », « ressources »,  et de rajouter mot pour mot : «Si les pauvres avaient de l’argent, on aurait sans doute pu les épargner, du moins, pour quelques décennies, mais ils n’en ont pas et nous sommes trop nombreux sur cette planète. » Je suis désolé, Eléonore, mais ton père est un assassin, ça fait là aucun doute.  Marions-nous, ma fleur. Je t’aime !

ELEONORE. Je suis surprise...

NORMAN. Les morts aussi l’ont été.

ELENORE. Non, je suis surprise que le sexe puisse mener au mariage. Et tu ne peux pas me parler d’un mariage d’argent, tu n’en as pas. Tu parles donc d’un mariage d’amour !

NORMAN. Je t’aime, Eléonore ! Je t’aime d’amour !

ELEONORE. Mais tu n’as pas un rond, t’es fauché comme le blé, t’es de l’autre espèce, Norman ! Tu t’en rends compte au moins que tu es de l’autre espèce ? Je ne peux pas t’épouser, même si je suis bizarre en ta compagnie, même si depuis hier soir, dans ton jardin débordant de roses, il est vrai que je ressens battre au fond de moi comme des portes qui s’ouvrent et qui se referment. Des portes qui claquent.

NORMAN. Tu viens de découvrir l’utilité d’un cœur. Tu m’aimes, ma fleur, c’est parce que tu m’aimes ! Tu m’aimes pour ce que je suis, pas pour l’argent. Marions-nous !

ELEONORE. Oh la la ! Mais que va dire père ?

NORMAN. Ritchie est créateur de virus. Il tue les pauvres pour de l’argent.

ELEONORE. Mais les pauvres sont pauvres parce qu’ils n’ont pas d’argent.

NORMAN. Tu es stupide, ma fleur, mais je t’aime. Il tue pour prendre du pouvoir, pour agenouiller davantage les moyennes classes, il tue pour qu’on achète le remède, il tue pour que les roses s’éteignent au profit d’une lumière ténébreuse, il tue pour que des gens comme moi ne soient plus jardiniers, il tue pour faire pousser des tiges de billets arrosés par des tours de liquide. En créant ce virus, il s’enrichie ; en créant une pandémie, il développe sa branche d’existence qui grandit vers le ciel, grossissant, grossissant, et cette branche devenue un monstre, il accédera à l’immortalité. L’argent, c’est la régénération des cellules !     

ELEONORE. Tu sais tout ça, et tu ne fais rien !

NORMAN. Je ne fais rien, mais je réfléchis. Et je veux me marier avec toi. Et me marier avant que je les roses disparaissent, et que je devienne un mâle dénué de sentiments, de toute possibilité d’émotion, une sorte de chapon, une sorte de fantôme. Je veux te passer la bague, ma fleur, avant que les odeurs de ma roseraie ne s’évaporent dans l’oubli. Il y a deux pouvoirs : celui de ton père, de l’économie et de l’avarice; et celui des roses, du rêve, et du partage. Les deux ne peuvent coexister, l’un doit se soumettre à l’autre, et ce jour est arrivé.

Ton père, l’enfant du Diable, ce fils affamé de cruauté s’apprête à dominer le monde des essences par l’univers de son argent. Marions-nous, Eléonore, marions-nous avant qu’il ne soit trop tard, avant que ton Méphisto-rejeton de père m’en enlève l’odeur définitivement.   (Eléonore se tient la poitrine, pliée en deux.)  Ça va, ma fleur ? Tu es toute livide, quelque chose ne cloche pas ?

        

NOIR

  

 

9

Au funérarium

        

         Ritchie est au téléphone avec Pioche. Ce dernier porte un ciré. Il tient un parapluie au-dessus de sa tête.

PIOCHE.  Quel temps, Ritchie, mais quel temps ! Il pleut des enfants, vous entendez, des enfants ! Et ce n’est pas qu’une averse, c’est un véritable déluge ! Une pluie de poupards ininterrompue, certains d’entre eux sont à peine nés. Ils ont les oreilles encore mouillése. Il faut les voir, Ritchie, Il faut les voir !  Que c’est beau de savoir qu’on les a sauvés d’une vie qui nous est entièrement vouée. Que c’est beau, et que ça fait plaisir…

 (Le téléphone sonne, il décroche)

« Pioche-le-mort Compagny » j’écoute. C’est cela, mille euros pour une crémation. On accepte tous modes de paiement. Ah non, désolé Monsieur, excepté les tickets restau. Mais je vous en prie, au revoir, Monsieur.

RITCHIE. Ça bouge on dirait.

PIOCHE. Ça n’arrête pas, Ritchie, seuls les morts ne bougent plus. (Riant) A n’en pas douter, c’est parti pour quarante jours et quarante nuits. Je n’ai pas pris ma pause de midi, mais ce n’est pas grave, car tous ces morts, ces morts si jeunes, ça donne envie de s’y consacrer !  A propos, vous avez réussi, vous, à trouver l’appétit ? Avec tous ces évènements…

RITCHIE. J’ai déjeuné, oui, mais les nouveaux cuisiniers sont nuls, je vais les virer, et leur supprimer les fameuses pilules. Ils ne méritent pas qu’on les sauve.

PIOCHE. Bien manger, c’est important.

RITCHIE. Pioche, ouvrez la salle numéro 13, il faut ouvrir la salle numéro 13, et maintenant. Le virus se diffuse plus rapidement que prévu.

PIOCHE. J’ai suivi vos recommandations. Mais vous êtes certain pour la salle 13, cette salle n’es-elle pas destinée à la…

RITCHIE. A la cryogénie, Ritchie, à la cryogénie.

PIOCHE. Mais vous avez perdu la raison…

RITCHIE. Ouvrez la salle 13, et ne discutez pas. Lénine ne dira rien.

PIOCHE. Mais la salle 13 est fermée depuis deux millénaires. Et l’on a ordre de  l’ouvrir que pour les nouveaux entrants…

RITCHIE. Pioche ! C’est un ordre, exécutez-le…

PIOCHE. Je suis tout de même le co-fondateur de la « Pioche-le-mort Compagny », et je crois avoir mon mot à dire.

RITCHIE. C’est exact, moi aussi, mais en plus, je suis le créateur unique du virus. Alors je vous ordonne d’ouvrir la salle numéro 13.

PIOCHE. Comme vous voudrez, mais je n’en prends pas la responsabilité.

RITCHIE. Je la prends, Pioche. Rappelez-moi dans la soirée. Cela vous permettra de rencontrer votre idole Léonardo.

PIOCHE. Léonard de Vinci est dans un glaçon.

RITCHIE.  A tout à l’heure.

Ritchie raccroche

 

 

 

 

10

Dans le bureau de Ritchie.

 

         On entend la voix d’une journaliste dans le téléviseur.

« La  France entière est maintenant concernée par le virus, ainsi que nos plus proches voisins européens. Le fléau d’origine encore indéterminée, désormais surnommé « Le fallésendoutéqunjour »  semble faire fi de la gentillesse des humains. Tandis que le ministère de la santé parle d’une fuite industrielle, d’autres, comme les écologistes, prétendent que le virus serait la conséquence des carnivores. Une autre hypothèse venue d’outre-manche suggère  que l’ampleur inconcevable du phénomène peut être mis sur le dos de Napoléon. Mais à ce jour, une seule certitude à cette pandémie : Le mal vient de France. C’était Marie Tube, en direct devant l’hôpital Pompidou, pour Jtélévision.     

- Merci Marie, passons à toute autre chose, dans l’actualité ce midi, on l’attend chaque année, le somptueux marché de Noël de Strasbourg… »

         On frappe à la porte.

 

RITCHIE. Entrez-donc.

NORMAN. C’est aimable de votre part de bien vouloir me recevoir.

RITCHIE. Ce n’est pas dans mes habitudes de recevoir des domestiques. D’ordinaire, je ne me mélange pas. Mais Belline est tenace, vous la remercierez.

NORMAN. Evidemment…

RITCHIE. Bon, pour l’augmentation, c’est d’accord. Disons deux et demi pour cent.  Après tout, cela fait deux ans que vous travaillez pour nous.

NORMAN. En réalité, cela fait déjà dix ans, Monsieur…

RITCHIE. Parfait, dix pour cent. Vous pouvez disposer.

NORMAN. Je ne veux pas être augmenté…

RITCHIE. Diable, que voulez-vous alors ? J’espère que vous ne me dérangez pas dans mes affaires pour boire un thé, je n’ai pas le temps pour ça.

NORMAN. Puis-je vous demander une faveur…

RITCHIE. Allez, allez, qu’elle est-elle ? (Il regarde sa montre), trente secondes, vingt-neuf, vingt-huit…

NORMAN. Comment m’exprimer…

RIRCHIE. Vingt-sept…

NORMAN. Votre fille, Eléonore, une fille remarquable, sans doute comme son père…

RITCHIE. Vingt-six…

NORMAN. Dont j’apprécie le coté naturel.

Ritchie se racle la gorge.

RITCHIE. Vingt-cinq…

NORMAN. Le côté superficiel, bien sûr. Eh bien Monsieur, si je viens vous voir, c’est pour vous demander la permission de…

RITCHIE. Vingt-quatre…

NORMAN. Je vous prie, écoutez moi...

RITCHIE. Vingt-trois, deux, un…

NORMAN. Nous nous aimons beaucoup, et…

RITCHIE Vingt, dix-neuf…

NORMAN. J’aimerais profondément que vous acceptiez…

RITCHIE. Je vous vois venir, Norman. C’est bien Norman ?

NORMAN. Oui, en effet.

RITCHIE. Que dois-je accepter dans les dix-huit secondes ?  

NORMAN. Sa main, Monsieur, sa main.

RITCHIE. Pardi, que voulez-vous faire d’une main ?

NORMAN. Nous nous aimons, vous savez, et…

RITCHIE. Mais moi aussi, je l’aime beaucoup. Je n'ai pour autant jamais couper sa main. Bon, si vous désirez une augmentation, dîtes-le moi, il vous reste quinze, quatorze…

NORMAN. Nous allons nous marier.

Ritchie se met à rigoler.

RITCHIE. Douze…Je saute le treize, vous comprendrez.

NORMAN. Ecoutez-moi, Monsieur Lemort.

RITCHIE. Ah non, je n’aime pas qu’on m’appelle par mon nom !  Onze, dix…

NORMAN. Nous allons nous marier dès demain.

RITCHIE. Vous demandez mon accord à quelque chose dont vous avez déjà pris la décision. Pourquoi donc ? Vous ne pensez pas que j’ai des tours à construire.

NORMAN. Il s’agit de votre fille.

RITCHIE. Si vous l’épousez, elle n’est plus ma fille, non seulement elle n’est plus ma fille, mais je la barre de la succession. Rien. Nada. Alors ne rêvez pas trop. Je connais Eléonore, elle ne voudra jamais renoncer à sa part de fortune. Votre espèce ne l’intéresse pas. Cinq, quatre, trois, deux…toujours pas d’augmentation, Norman ?…un…

NORMAN. Elle ne prend plus ses pilules. Zéro pilules !

RITCHIE. Eh bien, sa fièvre lui passera…Et elle renoncera à vous comme elle a déjà déprécié des dizaines de pauvres avant vous. Sur ce, je crois qu’un jardin vous attend. Il n’est pas grand, certes, juste un peu plus que la piscine, mais je sais combien vous y tenez. N’est-ce pas, Norman, que vous y tenez ?

NORMAN. Certes, Monsieur.

RITCHIE. Très bien, allez donc lui couper quelques mains, à ce jardin.

NORMAN. Et si la fièvre d’Eléonore n’était pas une fièvre, Monsieur, un méchant virus circule…

RITCHIE. Ne vous en préoccupez pas, ma famille est en sécurité ici. Vous aussi, Norman.

NORMAN. Sauf quand on ne prend pas ses pilules. Et en ce moment, Eléonore ne prend pas ses pilules, et je ne supporterais pas qu’il lui arrive comme aux autres, vous savez, ce petit truc qu’on appelle vulgairement : « La mort », surtout quand on sait que cette mort aurait pu être évitée.

RITCHIE. (Suspicieux) Continuez, je vous prie.

NORMAN. Je me demandais, Monsieur (appuyant) Lemort, si votre fille a bien fait de stopper son traitement contre les rides. Je pense que oui. A dix-huit ans, ce genre de produit ne semble pas primordial, mais je peux me tromper.

RITCHIE. Elle a des rides aux fesses, je me préoccupe de ses rides aux fesses. Qu’elle reprenne son traitement, et sur le champ ! Nul besoin de vous rajouter que je lui ferai avaler ses pilules dans le cas contraire.

NORMAN. Vous êtes prévenant, Monsieur (appuyant une nouvelle fois) Lemort, dommage que vous ne le soyez pas pour tous les êtres humains, enfin les humains de l’autre espèce : Les ignorants, les incultes, les  salariés, les chômeurs, les endettés, les jardiniers…

RITCHIE. Rassurez-vous, être riche n’a rien de reluisant, nous supportons vos manières, vos plaintes incessantes, et cela joue sur l’économie ! Avez-vous terminé ? Profitez-en, Norman, j’ai peur que cela soit notre dernière entrevue. Et pendant que  je parle avec vous, je perds de l’argent, et c’est insupportable !

NORMAN. Pourquoi faîtes-vous ça ?

RITCHIE. Pourquoi faîtes-vous quoi ?

NORMAN. Tuer. Pourquoi tuez-vous.

RITCHIE. Mon petit, je tue pour de l’argent bien sûr, vous croyez peut-être que je tue pour le plaisir ? Dîtes-moi plutôt comment vous l’avez appris ? Certainement pas avec votre cerveau ! (Il rigole)

NORMAN. Je travaille chez vous, Monsieur (appuyant une nouvelle fois) Lemort.   

RITCHIE. Mon cher futur gendre, appelez-moi Ritchie, vous êtes d’accord ?    

NORMAN. Monsieur (appuyant excessivement) Lemort, j’aime votre fille plus que tout l’argent que vous pouvez avoir, mais vous, alors vous, je vous hais.

RITCHIE. (Droit dans les yeux de Norman) Vous voulez vous marier. Très bien. Faîtes. Coupez-lui la main, tondez-lui la pelouse, sortez le tracteur, Norman, mais ne vous avisez plus à parler de virus dans cette maison, ni nulle part ailleurs, ou…

NORMAN. Ou vous me faucherez !

RITCHIE. Vous ne me sèmerez pas, Norman.

NORMAN. Si votre gardien devant la porte ne m’avait fouillé pour récupérer le pistolet…

RITCHIE. Je vous aurez déjà tué ! Mais servez-vous de vos mains. A moins qu’Eléonore les ait déjà coupés ! Gardien !

Le gardien de la porte entre pour raccompagner Norman.

RITCHIE. Comment rentrez-vous à votre domicile ? En transport ?

Norman se débat.

RITCHIE. On va vous raccompagner. Mon futur gendre mérité la plus haute estime.

 

NORMAN. Vous ne gagnerez rien ni l’éternel à vouloir anéantir des innocents !

RITHCIE. La mondialisation creuse la faim des riches, mais c’est honnête que je puis vous tenir raison en vous attestant qu’elle peut gonfler les pauvres. Je suis une victime, mon cher, pas un meurtrier. La mondialisation, vu de mon bord, c’est un « big bang », une naissance. 

NORMAN. La planétisation ! Pas la mondialisation ! L’univers nous appartient encore !

RITCHIE. Faux ! L’univers, Norman, c’est mon argent, c’est mon argent et mon Eléonore.

NORMAN. Dans lui vous vous égarerez comme dans un labyrinthe; dans lui, vous vous perdrez ! Dans l’univers, vous ne trouverez jamais de sortie de secours ! Jamais !

 RITCHIE. C’est probable, mon petit, mais je serai mort. Diane, veux-tu me sortir mon futur gendre ?

 

NORMAN. Votre orgueil, vous le paierai cher ! Vous m’entendez, vous le paierai cher !

Ritchie est seul dans la pièce.

RITCHIE. Je ne suis jamais assez clair : mon bureau, c’est avant tout mon espace. 

NOIR

 

 

 

 

 

11

Dans la cuisine

        

         Paul  met des casseroles dans la le lave-vaisselle, Sophia nettoie la table de travail.

PAUL (une casserole dans la main). Allons le cuisiner, on sait qu’il sait, et on a les outils pour qu’il parle.

SOPHIA (un Chiffon dans la main). Quand Benoit nous le précisera, nous agirons, pour l’instant, l’Eglise est muette, mais l’heure du nettoyage approche. Je le sens dans mes tripes.

PAUL Quand nous l’aurons le salaud, je te jure qu’il va déguster !

SOPHIA. Et il nettoiera sa merde. Mais soyons patients. Par Santa Maria, Paul ?

PAUL. Oui.

SOPHIA. Une Tourtel.

       

NOIR

 

  

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