La constellation de l'Homme

Publié le par école Anatole France

 Après "La mort pour compagnie" anciennement "Léopoldo Brown", une pièce comique en trois actes et en vers classiques, Ghislain Hammer se lance dans un nouveau défi : "La constellation de l'Homme", un théâtre poétique et philosophique en un seul acte. Ci-dessous, découvrez les premiers vers. Rendez-vous également sur le petit site créé à l'occasion.

 

 

La constellation de l’Homme

 

         La scène se déroule sur une plage. Les étoiles brillent de mille feux dans un ciel allant de l’orange au rouge au bleu-marine. Dans le fond, on aperçoit les cimes des montagnes. Horizio, jeune homme de 18 ans est assis, les mains derrière lui, il contemple les étoiles. A ses pieds trainent des centaines de petits cailloux tous différents qui forment un monticule. Une barque est échouée sur le sable.

 

SCENE PREMIERE

 

1                 De la plus haute cime au plus profond de l’eau, 

                   Partout dorment secrets, partout vivent légendes ; 

                   Le Voyage et l’Amour, dont les hommes dépendent,

                   Seuls lèvent un mystère ou en créent un nouveau.

5                 Petit, rien je n’avais que le désir caché,

                   La volonté, l’esprit, d’approcher autre chose…

                   Père, pauvre pêcheur, et toi mère au sein rose,

                   Si fort fut le désir que tout a commencé…   

                   C’est ainsi qu’à douze ans, barrant de mes yeux clos,

10              J’ai décidé d’aller ailleurs, par la pensée ;

                   Je m’appelle Horizio, et mon âme est mariée

                   Au lointain d’où me vient la force de mes os.

                   C’est ainsi que j’ouvris un conte dans mon cœur

                   Où je vins déposer chaque aurore une pierre

15              D’un territoire brut éclatant de lumière.       

                   Je m’appelle Horizio, je suis navigateur !

                   Partir pour sillonner l’univers océan,

                   Je le vis chaque soir, captif, dans mon esprit,

                   Sur cette plage orange à deux pas de la nuit,

20              Quand je ferme les yeux l’espace d’un instant.

                   -Ô vogue ah eh ! Navigue ah oh !

                   Que j’ai couru, couru de mers dès la jeunesse, 

                   Des impassibles mers jusqu’aux mers impossibles !

                   Des miroirs caressants, brillants et inflexibles,

25              Aux mers… ces autres mers… que la mémoire agresse.

                   Que j’ai couru, couru par les champagnes bleus,

                   Par les vins rouges, par les alcools les plus noirs !

                   Sur des voiles, moteurs, ou des bateaux-fumoirs,

                   Que j’ai couru le soir juste en fermant les yeux !

30              -Ô vogue ah eh ! Navigue ah oh !

                   Monstres de Mentigi  et de Sainte-Augustine,

                   Et Nessie et calmars et le coelancanthe,

                   Que de vie j’ai croisé, brunante après brunante.

                   D’ici, Tecoluta, Christchurch, et à la Chine.

35              Que j’ai couru, couru, longeant  les continents,

                   Allant de côte en côte et couleur en couleur ;

                   Que j’ai couru, tiré par les Voix, ayant l’heur

                   Des échos infinis et toujours enivrants.

                   -Ô vogue ah eh ! Navigue ah oh !

40              Oh Dieu que j’ai roulé, roi,  par toute nature,

                   Roulé de port en port depuis l’adolescence,

                   Tellement qu’aujourd’hui plus aucune distance

                   Ne me sépare plus de l’Humaine aventure.

                   Douze ans, j’avais douze ans, je désirais le sang

45              De la Terre plus fort que l’on souhaite une main :

                   C’est là qu’il m’est venu, cet ami : Sablefin,

                   Ami qui me revient dès que naît le couchant.

                    Oh vogue ah eh ! Navigue ah oh !

                   

Je me souviens encor parfaitement du jour  

50              Où il m’est apparu pour les fois premières :

                   Mon corps commençait juste à jouer de manières,

                   Il muait, m’a-t-on dit, pour supplanter l’amour

                   Et se poser bien tôt dans les bras d’une femme.

                   Mais selon Sablefin, répétant, insistant,

55              Muer n’est qu’un bas mot pour définir la sève,

                   Sève qui nous permet d’enfin quitter la  grève      

                  Pour  monter au plus haut, et saisir le vivant ;

                   Plusieurs soirs à la suite, il m’a parlé de l’âme.

                   Il m’a parlé de l’âme, et des constellations

60              Dont une se dévoile à la douzième année

                   Pour nous montrer la voie, et ainsi qu’une épée             

                   Dans le ciel, nous aider à combattre légions,

                   Les chevaux des douleurs, les boucliers des drames,

                   Les tirs des afflictions, les casques des malheurs

65              Les maux impérieux de la vie qui se cabre.

                   J’ai ressenti alors du fond de sa palabre

                   Un nouveau muscle en moi, et des poumons meilleurs.

                   Une semaine après, je tirai sur les rames,                

 

                   Horizio se lève d’un bond. Il pointe l’index vers le large.                

                   -Ô vogue ah eh ! Navigue ah oh !                 

70              Enfin l’avènement du rendez-vous des mers !

                   Chaque soir ! Tous les soirs ! Les étés, les hivers,

                   Jamais je n’ai cessé, qu’importe le bateau,

 

                   Montant dans la barque.

 

 

                   Europé, Amazigh, Ereb, Amarigo,

                   Qu’importe le bateau et le nom qu’on lui donne,

75              Car la vie sur les mers s’appelle Liberté,

                   Elle que j’aime tant, ô tant ! Comme personne !

                   -Ô vogue ah eh ! Navigue ah oh !

 

                   Au fond de la scène s’allume un écran. Le film qui passe suit le monologue d’Horizio.                   

 

                   Du golfe de Botnie aux longs fjords de Norvège,

                   De Stockholm à Oslo, j’ai promené Skadi ; 

80              De Dubh Linn la forte aux scots et à Stonehenge 

                   Lug m’illumina et Rosmerta me servit.   

                   Des polders de Hollande, à Wright, et à Newquay,

                   Un jusant au galop monta du fond de l’âme,

                   Soudain j’ai pleuré noir devant des pétroliers

85              Tandis qu’une bannière ondoyait sur la lame. 

                   Parti de Saint-Michel pour l’ogre Finistère

                   Carnac et Cordouan, aux basques de Mari,

                   J’ai bu des littoraux, croqué de l’insulaire,

                   Une flèche océane au cœur et dans l’esprit.

90              Echappant aux Xanas des portes d’Oviedo

                   En n’écoutant leurs voix sublimement piégeuses,

                   J’ai suivi mon chemin vers l’aigle de Pico,

                   Puis j’ai vu Lucia aux mains des religieuses.

 

                   Sous un soleil hurlant, là sur le Gibraltar,

95              Là sur le Jnel Massa, naquirent deux colonnes,

                   Bien des andalous et des taureaux plus tard,

                   La chaleur me quitta pour des étoiles bonnes.

                   Le lendemain matin, mon ciel s’emparfuma,

                   L’eau devenue olive et de lavande, et messes !

100            D’aigues, des Saintes, aux calanques et Nissa,

                   Jamais je n’ai connu de semblables ivresses.

                   Quand me vint Bonaparte, il me vint Paoli,

                   Venus me saluer sur leur Kallisté libre,

                   Je les ai embrassés, remerciés dans un cri

105            De bonheur, pour l’Europe - Ô démocratie, vibre !

                   J’ai contourné la botte où Saturne et Janus,

                   M’ont parlé d’âge d’or sans maître ni esclave ;

                   De Tharros à l’Etna, de Tarente à Padus,

                   Je me vis Empereur sans armée ni épave.

110            Des Illyriens, auteurs  du Mont Visočica,

                   Jusqu’au Péloponnèse,  à la mer Ionienne,

                   Du Temple de Minos au temple d’Athéna,

                   J’ai plongé dans Platon, force et forme Olympienne.

 

                   Bientôt le Pont-Euxin : La riche et l’anoxique,

115            Bientôt la Crimée, Azov bientôt !

                   Mer noire où j’ai compris que du néolithique

                   Un écho nous parvient plus puissant qu’aucun mot !

                   J’ai fini par la Crète et le mythe d’Europe ;           

                   Mais je suis allé loin, beaucoup plus loin encor…

120            Car plus je voyageai, plus je fus philanthrope,

                   Avide de Savoirs,  curieux de l’eau qui dort.

 

                   Horizio sort de la barque, rejoint son monticule de cailloux pour en prendre une poignée qu’il lève au ciel. 

 

                   Il y a de l’Egypte, des mystiques, du Nil,

                   Un caillou ramassé au pied des pyramides !

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article