Proses poétiques

Publié le par école Anatole France



L’AVIATION MILITAIRE

 

Je regardais l’aviation militaire bombarder son sourire, et je criais comme une guerre, comme un empire détrôné, je crachais le diable de mon corps, de mes veines bleues explosées devant le fort de ses yeux. Un hiver rouge coulait, un hiver torride, j’avançais vers le trou que l’impact a créé, mais je savais déjà le bout de ma pensée : L’adieu. La mort dans ses cieux d’or n’existerait plus. Je regardais l’aviation militaire se tromper d’ennemi, et avec elle la fin d’un rêve cartésien.

  

 BLUE GARDEN

 

Des saisons sur le dos je me conduis à vous, je vais, restant le même et domptant la souffrance. Le temps n’a plus sur vous aucune conséquence mais m’en voit devenir fou. J’écris, je vous écris, ce ciel est un papier, ce soleil une plume à l’encre indélébile. Et noir…que je le suis ! Mon cœur n’a rien d’utile sans le vôtre, et pourtant Il bat, plus que jamais, il bat…Ô blue garden ! Il bat ! Sauvage et libre, ou sage et prisonnier, il bat, gagnant mon nez et sortant par ma bouche; Et je m’endors souvent sans ce cœur qui découche, lui qui maintient pourtant debout notre passé. Des saisons sur le dos je me conduis à vous, je vais, depuis ce jour, depuis l’août terrible. Le temps n’est plus pour vous ce complice nuisible mais m’en voit devenir fou, de plus en plus fou. Je vis, je vous revis, la mer votre jardin, le sable mon église aux cloches écumeuses. Noyé…Que je le suis ! De mes lèvres osseuses aux vôtres de lumière où se mêlaient nos vins. Nos vins, nos longs baisers, je vais, je vous reviens, je vais, restant le même. Vins, Ô vins ! Nos larges coupes ! Nos ivresses ! Nos nuits ! Notre été ! Nos chaloupes ! Des sanglots sous le bras, je vais, je vous reviens. Blue garden.

  

LE MAL POETE

 

Il souffre avec plaisir, sait-il qu’il va partir la rejoindre bientôt ? Il meurt avec sourire, mais n’est-elle pas bien pire cette vie sur son dos ? Enfin la belle mort le dénoue de son cou comme on ouvre un cadeau. A l’aurore d’une vie qu’on implore ! Il se plait à mourir, joindre son souvenir en-allé tout en haut. Il sourit – quel sourire ce vieux cœur qui expire en bas dans son ghetto ! Enfin les retrouvailles, les pulsations qui baillent, et la bougie en feu ! Vivement qu’il s’en aille s’allonger sur la paille, heureux entre elle et Dieu.

  

LE POISON

 

Belles à moi, prenez ma folie : Le bon choix ; dont j’envoie depuis des années les signaux froids. Venez-là, jolies, j’ai tant envie d’abandon. Dans le fond, je le sais, j’aimerai le poison. Belles, d’un bond passez l’infamie des tréfonds de votre cœur trompé par un trait large et long. Venez-donc, jolies, j’ai de la vie plein les bras. tout n’est pas à donner, pardonnez-moi cela.

  

VERS LES EAUX FOLLES

 

Juste du bout du doigt dessiner ton visage, le recopier cent fois là-bas, en long voyage qui nous laissera seuls face à la destinée, toi la peur du linceul de cette traversée où gisent tant d’épaves, de cris aigus de veuves ayant subies les graves flots des pires épreuves, moi conquit de savoir tes yeux, ton nez, ta bouche, cette larme qui part se perdre sur ta couche, m’attendre au bras du quai, à contempler sans cesse le sein bleu qui a né et levé notre espèce.

  

LES OISEAUX MORTS

 

Les oiseaux morts de ma jeunesse couvrent mon corps d’un noir trésor, d’un linceul blanc. Le ciel aux yeux, Le cœur en liesse Viennent en vieux trembler au creux de mes sommets d’argent. Plus le temps va que je me laisse au passé roi d’antiques pas lourds, insolents.

Je me reviens,  je re-caresse des instants l’un de mes chemins au gazon grand. Les oiseaux morts de ma jeunesse couvrent mon corps d’un noir trésor, d’un linceul blanc. Cent ans, cent lieux, gardent la liesse de l’amoureux qui chantait mieux que le printemps. Le temps qui fui n’a de vieillesse, n’a pas de Qui ni de Pourquoi ni de comment.

Le ciel aux mains, le cœur  – Sagesse ! Viendront demain lourds, insolents, fleurir longtemps les oiseaux morts.

  

LA VILLE SE LEVAIT

 

Les pieds de Manuelle ont aplati mon cœur sur le trottoir, marcheur pensif, l’aube cruelle. Et mes pas sur mes larmes voguaient pauvres de liens dans le flou du matin qui déposait ses armes. Je ne pouvais pas croire en un deuil sans décès, la ville se levait, je sombrais de l’histoire pour déchoir dans le vide d’un réveil aux abois, le hasard pour trépas, le désespoir qui ride. Plus solide qu’un slave, je me voyais si fort, même plus que la mort, et bien plus qu’un esclave, je ne pouvais pas croire qu’elle me laisse un jour m’égarer dans l’Amour sans plus manger ni boire, et tomber dans le vide d’un réveil aux abois, le hasard pour trépas, le désespoir qui ride.

  

LA MARCHE DU PAUVRE

 

Je suis du pays loin, loin, bien plus loin encore…De l’auberge et du foin, de ta faune et ta flore, je suis du pauvre temps, de l’âge du voyage, et les haillons au vent, Je suis d’un sage orage. Je suis l’ami cercueil qui me guide lumière d’un seul rayon, d’un œil, vers mon nectar Calvaire. La mère en médaillon, le père sur l’épaule, prient le hasard d’un pont, d’un bras ou d’une taule, et au cœur la fortune et l’âme haute, je vais, sans aucun, sans aucune, que mal accompagné.  

   

SOLITUDE ANTIQUE

 

Sous l’arche d’un pont métallique, m’en promenant avec ma solitude antique et le printemps, je surpris le bonheur d’un couple qui s’embrassait, Maria dansante si souple sous leurs baisers. Qu’il fut bon croire en un présage en ce doux soir ! Comme si dedans de l’image me vint l’espoir, l’espoir d’un bonheur authentique, pareil à eux, connaître le pont métallique en  amoureux.

  

GUIRLANDES ALSACIENNES

 

Les enluminures des ruelles sont partout répandues sur nos traces, sous les battants d’une pluie pleine. Reluisez au soir par vos yeux vertigineux, comme la fraîcheur végétale d’une ample rosée matinale notre éblouissement d’enfant verveux ! Loin du sarcophage habituel qu’accompagnent les aboiements hagards - Vestiges écumants ! Votre éclairage lascif chasse les querelles. Ô passé ! Des odieux crimes sous vos paupières, vous éclairez nos prières, les auteurs d’ombres et d’ilotisme. De la forêt vosgienne à Strasbourg, le Rhin, L’iris de vos nombres ampoules posées en guirlande déroulent des images profanes

Dans un luxe divin ! 

  

HIVERNAL

 

Un frimas s’en vient dérober tous mes hivers, s’abaisse à ma propriété particulière. Ah parlons-en de ces matins blancs et frileux frappant comme sur un tapin mes réveils creux ! Et la grise mine du mineur ! Du forçat ! Mon émergence est un labeur d’un autre état ! Je me décide enfin à m’élancer, Je décompte : trois…deux…un…(Pars du bon pied !) Mes talons, mes orteils, mes plantes se givrent, et ma démarche lente, et mes rotules ! Je souffre d’un tel effort ! Je vais à la poignée sans corps, sans voix, sans chair, J’entrouvre mes volets bleu-ciel, - L’allège effritée prenant le froid du gel et de la neige, et c’est une poussée de fluide giflant ma face et s’abattant comme un liquide sur de la crasse.

 

L’ECUME NOIRE

  

Ravages ravissants ! Ô tremblement de cœur ! Votre beauté me brise à chacune pensée, et ma vie renversée par vos éclats nombreux ne connaît plus d’ardeur que celle du bonheur ! Parfums déboussolant ! Ô pesante attraction ! Votre terre m’enlise en mes rêves malades. Vos yeux, deux cascades chutant sur mon sommeil flotteur à l’abandon Hantent mes pulsations. Ô tremblement de cœur ! Que me reste sans vous des couleurs de l’envie et de votre abordage un jour d’été sauvage ? Le souvenir houleux, Insupportable et doux, d’un paysage fou ! Combien de temps encor à vous voir et revoir dans une écume noire ? Un serpent sur la grève ! Ô mer qu’on me relève de ce sable hystérique et qu’enfin dans un soir, je vous me fasse part…

  

LA TERRE DES AUTRES


Sous un faible vent, juste suffisant pour gonfler l’âme du mât, ma gabare, la cale remplis de maints souvenirs en vrac, s’approchait du petit port marchand de l’île Perdue, sur la côte sud du territoire de la vie. Derrière moi, un trajet d’une nuit, une route sans heurts véritables que celui du chahut qui cognait, impétueusement, sur les flancs raides de ma drôle de tête. Le sémaphore dans le jour levant mourait seconde après seconde. Le chenal s’ouvrait. Cinq heures du matin sonnèrent sur la minuscule église du village – un hameau d’une dizaine de ruelles escarpées, de raidillons grimpant au sommet de la seule colline brûlée, posée là comme par le plus grand des hasards. Nul sur le quai, ni pécheur ni silhouette. Aucune ombre que celle du silence pesant. Le noir du ciel se déchirait en lambeaux, mon cœur semblant alors y être l’habitant. Je crus pratiquement ma frêle coque hésiter, ralentir devant cette terre éteinte. Peut-être était-ce moi qui ne brillait de la même lueur qu’hier ? peut-être ? Ou pas ? Mais après plusieurs regards à droite, à gauche, je pris conscience de la lenteur du temps, la crainte, le bouleversement. J’avançais, quoi que je pus penser, et la terre ne se reculait pas. Cette singulière avancée vers mon appontement, vers ma nouvelle existence, je ne puis l’éviter, et finalement, c’est elle qui, l’espace d’un instant, faillit m’éviter. La terre des autres, cette île au milieu des étoiles, m’étranglait quoique le frissonnement cordial, là, ce rêve, parent inconnu…

 

LE CŒUR, CE FOU

 

Nous allons jusqu’au fou déguisé en bon sage qui nous attend debout au bout du long voyage, et qui danse déjà, et qui chante déjà, de nous voir entrer dans son univers enfant. Nous allons jusqu’au fou rire sans ordonnance, et sur rien et sur tout, même sur l’existence; car là-bas le fou s’en fout de toutes nos souffrances, car là-bas le fou s’en fout pourvu que l’on soit fou ! Nous allons jusqu’au fou qui raisonne la vie et les cœurs à grands coups d’or et de clownerie, et qui danse déjà, et qui chante déjà, de nous savoir partis irréfléchis vers lui. Nous allons jusqu’au fou qui fait le chien sauvage aussi bien que le loup et que le cri de l’âge. Nous allons jusqu’au fou en feu jusqu’en son foie qui collectionne tout ce qui pleure de joie et qui danse déjà, et qui chante déjà, sur la piste des yeux, heureux comme pas deux. Oui allons jusqu’au fou rire sans ordonnance, et sur rien et sur tout, même sur l’existence !

Publié dans Sans recueil

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