La mort pour compagnie (acte II)
ACTE II
Acte II, scène première
Moïra, Alban
La musique d’Enigma « I love you, I’ll Kill you » se met en route.
Moïra arrive lentement sur la scène, tirant un caddie, elle s’assoit sur un banc après l’avoir essuyé avec un mouchoir, la vieille dame tenant son caddie devant elle. (1 m 30 s) Alban apparaît, marche, tête baissée, le parapluie ouvert. Il ne pleut pas. Il s’assoit sur le rebord de la scène, regarde le public, puis se relève. (1 m 30 s) Pognon débarque en courant, bouscule Alban, s’arrête au milieu de la scène, sort une photo de sa poche, et dit « Ma Louloutte, Ma Louloutte adorée, papa arrive, ne me quitte pas ma Louloutte ! » puis repart en courant, traverse l’autre moitié des planches et sort. (10 s).
(Environ 2 m 30 s de musique)
MOÏRA
Le ciel ne pleure plus si je puis me permettre.
575 A vous voir l’astre d’or a-t-il pu disparaître.
S’il pleut sur le soleil, sur le votre du moins,
Dans ce fait il est bon de prendre tous les soins.
Alban la regarde et continue sa route
Attendez-vous qui sait car l’idée me traverse
Pour enfin le fermer une prochaine averse ?
580 Je suis vieille, Monsieur, mais ouverts sont mes yeux !
ALBAN
Alban s’arrête, se retourne.
Faux, vous faîtes plus jeune en ce jour pluvieux.
Et bien plus que moi. Et de ma triste vie
Je supporte au combien mieux ce parapluie.
MOÏRA
Approchez-vous Monsieur, venez me raconter.
ALBAN
585 Hélas la mort m’attend ce soir après manger
Vous comprendrez bien sûr qu’avant qu’elle m’empare
Et par respect pour elle un brin je me prépare.
Ma décision est prise et scellée dans mon for
Vous n’y changerai rien, c’est ainsi, c’est mon sort.
MOÏRA
590 Et comment grand mortel comptez-vous vous y prendre ?
Je sais un réverbère où il fait bon se pendre.
Chatelet, chez Nerval, la poésie, le sang,
Et l’on dit qu’à son mât mourir est renversant.
Si je voulais mon glas, j’irai sur sa potence.
595 Pour me serrer le cou pendant qu’à lui je pense
ALBAN
. Merci pour le conseil, mais tout comme l’éclair
Sur un clocher, mon coeur appelle un revolver.
MOÏRA
Une femme...
ALBAN
S’approchant de Moïra, Enervé
Bien sûr une femme ! Une goule !
MOÏRA
600 Ne vous excitez pas.
ALBAN
Criant
Quand le bonheur s’éboule !
Quand hier l’univers commençait dans ses yeux, Concevez-vous cela ?... Par les astres radieux,
Que maintenant mes yeux me sortent des orbites
605 Errant parmi les rocs stellaires qu’ils évitent.
Concevez-vous cela ? Moi cet objet perdu !
Il s’assoit sur le banc et se met à pleurer, tête baissée.
L’amour certainement n’est qu’un malentendu.
MOÏRA
Vous savez. Mon mari aussi. J’étais si belle,
Si jeune. Lui parti je n’étais qu’une stèle
610 Durant des jours entiers j’ai pleuré. Un matin
J’ai trouvé une lettre écrite de sa main.
Tenez je l’ai toujours.
Elle sort un vieux papier
Dans laquelle il prétend
Qu’il me quitte et s’en va loin, pour l’Afghanistan.
Alban lève les yeux. Moïra se lève et avance vers le public.
615 « Je te quitte au matin, tu dormiras encore,
Mais ne sois pas si morne en lisant ce billet,
Je serai loin, heureux comme nu dans la flore,
Heureux d’aller enfin combattre et respirer.
Je m’en vais, mon épouse, au péril de ma vie,
620 Joindre le front brûlant où froids sont les héros,
Car je désire mieux mourir pour ma patrie
Qu’agoniser sans fin dans tes bras collabos.
Je pars et l’on m’envoie au soleil des afghanes
Dans un conflit perdu certes mais oriental,
625 Où je ressentirai la paix dans mes organes,
La paix que tu m’as prise avec si peu de mal.
Enfin la liberté ! Enfin la plénitude !
Enfin ne plus entendre incessamment tes cris !
Un fusil sur l’épaule avec ma solitude,
630 La guerre hormis ses morts je l’aime et je le dis.
Adieu j’espère ! Adieu geôlière infatigable !
Le grand bonheur m’attend désarmé de ton lien,
Mais tu m’as tant appris que c’est incontestable :
L’amour est un beau vers qui ne rime avec rien. »
Se retournant vers Alban
ALBAN
635 Et depuis tout ce temps vous garder cette lettre
Alors que votre amour n’avait rien d’un Grand être,
Votre soldat d’amour...
MOÏRA
Et malgré tout ce mal
Je n’ai passé le cap de rejoindre Nerval.
640 Malgré sa trahison, je suis devenue vieille,
Seule, avec notre fils - Ah la mer la bouteille !
Et je l’ai attendu pensant qu’il reviendrait
ALBAN
Si je saisis la lettre, hélas sans me risquer
Vous l’attendez encor...
MOÏRA
645 Oh non...
ALBAN
Mort à la guerre ?
MOÏRA
OH non pas au combat ! Monsieur, j’avais du flaire
Cet instinct féminin, et il est revenu...
ALBAN
C’est extraordinaire et presque inattendu
MOÏRA
650 Tout juste ce matin, ça valait bien la peine
D’attendre un demi-siècle. Oui ça valait la peine.
ALBAN
Vous devez être heureuse...
MOÏRA
Revenue près du caddie, elle tape un grand coup de pied dedans, le caddie tombe, une tête roule sur le sol, une main en sort.
Apeuré Alban recule.
Oh oui que je le suis !
Et combien j’ai tourné dans les jours et les nuits
Dans mon salon, ce même où il posa la lettre
655 A me convaincre encor : « Non ce n’est pas peut-être »
C’est sûr il reviendra». Tout ça pour le tuer !
Vous n’imaginez pas le plaisir que c’était.
Voyez qu’à rien ne sert de trépasser trop vite.
C’est très long cinquante ans, enfin nous voilà quitte.
660 Voyez qu’à rien ne sert de perdre la raison
Pour un flingue, une corde, ou pour sauter d’un pont.
Car tout finit toujours par s’arranger.
ALBAN
Que diable,
Mais vous l’avez tué !
MOÏRA
665 N’est-il pas adorable.
ALBAN
Alban s’approche de la tête
Putain mais il est mort, de près... comme de loin
Je ne veux pas souffrir, je veux mourir à point !
MOÏRA
A mon âge avancé bien des femmes survivent
Et peu à mon égal demeurent si actives,
670 Vous pourriez l’avouer. C’est vrai ? Ou bien c’est faux ?
ALBAN
Alban se tourne et s’en va
De désirer sa mort n’est pas de tout repos
C’était avec plaisir
MOÏRA
Un plaisir pour moi-même.
Si vous voulez parler d’un quelconque problème
675 Avant de vous mourir je reste sur ce banc
Mon nom est Moïra !
ALBAN
Hors scène
Je m’appelais Alban !
Moïra ramasse la tête et le bras, les range dans le caddy qu’elle relève.
ACTE II, SCENE DEUX
Moïra
Léopoldo, mon fils, cinquante ans qu’on m’exile,
Maman arrive enfin, elle est sortie d’asile.
680 Non, mon Léopoldo, tu n’es pas orphelin
Car non je ne suis morte un guidon sur le sein
Comme d’ignobles gens et sans cœur t‘ont fait croire.
Tout n’était qu’invention dans cette triste histoire. Jamais, jamais, jamais je n’ai eu d’accident
685 Cet hiver de juillet ! Mon ange, mon enfant,
L’on t’a menti sur moi, sur moi...et sur ton père
Parti vivre en Orient un conte militaire.
Heureusement, chéri, que j’ai pu m’échapper
Pour qu’éclate au grand jour toute la vérité,
690 M’échapper des hauts murs de cette psychiatrie
Qui m’a volé à toi les trois quarts de ma vie.
Elle sort une bouteille de vin du caddie et boit une longue gorgée. Puis elle remet sa bouteille dans le caddie et s’essuie la bouche avec son manteau. Elle sort enfin la tête.
Ne fais pas cette tête. Estime-toi heureux,
Aurais-tu préféré vivre l’enfer d’un vieux ?
Sans plus bouger ni voir et devenir sénile.
695 Quatre-vingts deux c’est bien, plus n’a rien d’utile,
Et tu sais que ta mort aurait à ton moment
En Orient ou ailleurs pu déguster ton sang !
Pour ton meurtre j’avoue avoir eu de la chance
En même temps que Moïra se lève du banc, un arbre tombe derrière celui-ci.
700 Tant la mort m’a failli qu’à très peu de distance,
Et ce bien mille fois en mille conditions.
La vengeance, la mort : Nos prédestinations !
Jouant avec la tête
LE CRÂNE
(voix off)
Les morts ne parlent pas, toutefois ils t’entendent,
Et te voyant, c’est sûr, leurs âmes sont plus grandes.
705 Moïra, pauvre folle, humaine simplement,
Je rêve si possible à un enterrement.
Tu crânes de m’avoir, ô combien t’es veinarde,
Mais si tu peux laisser ma tête un peu peinarde,
Certains que le légiste en elle trouverait
710 La preuve, ou un morceau, de mon identité.
MOÏRA
Montrant du doigt une fenêtre.
Regarde bien coco, là haut, cette fenêtre,
Il y a ton fils derrière, une femme peut-être
Que je n’espère point dédaignée comme Moi ;
Ton fils, Léopoldo ! Ton rejeton ! Ton Toi !
715 Je ne sais pas pour Toi mais Moi l’envie me tente
D’aller à lui, depuis le temps que je patiente,
De ta maudite faute ! Toi ! Ô sexe animal !
Jetant la tête dans le caddie.
LE CRÂNE
Heureux que je sois mort, cela m’aurait fait mal.
MOÏRA
Donnant des coups de pied dans le caddie
Toi qui nous a laissé seuls ; Nous : ton eau bénite,
Toi qui nous a brisé quand tu as pris la fuite
720 Comme d’un lâche, un faible, une chiffe ou un couard !
Toi qui nous as planté ainsi que d’un poignard...
Moïra se rassoit sur le banc. Elle sort un couteau qu’elle plante de toute part dans le caddie.
Prends ça et encor ça ! Tout n’est que récompense !
Et encore et encore ! Et vengeance et vengeance !
Moïra se calme.
LE CRÂNE
Le danger dans l’amour, c’est qu’il est destructeur
725 Dès qu’il né dans l’esprit, et qu’on oublie son cœur.
L’esprit de liberté doit régner dans un couple
Car pour qu’un amour dure il se doit d’être souple.
Moïra range son couteau, toujours assise sur le banc.
ACTE II, SCENE TROIS
Eglantine, Moïra,
EGLANTINE
Eglantine tourne en rond, elle attend. Moïra fait tomber son caddy sans renverser le crâne ni la main. Eglantine se précipite pour le relever.
Ma pauvre p’tite dame, en voici un ennui,
Laissez-moi vous aider.
MOÏRA
730 C’est si gentil. Merci.
EGLANTINE
Mais ne point assister une femme au grand âge
Me serait criminel.
MOÏRA
Comme vous êtes sage.
Les jeunes d’aujourd’hui ne bougent plus le doigt
735 Pour une vieillerie esquintée comme moi.
Nous vivons une époque où les morts émerveillent,
Où les valeurs autant que l‘amour se monnayent !
Et je comprends pourquoi, que dans ce monde infect,
Assassiner quelqu’un soit devenu correct.
EGLANTINE
740 Si vous n’avez pas tort, je crois, ma brave dame,
Que de l’humanité reste encore une flamme.
MOÏRA
Vous faîtes exception !
EGLANTINE
Merci du compliment
Mais je reste moi...
MOÏRA
745 Vous vous allez comme un gant !
ACTE II, SCENE QUATRE
Moïra, Elda, Eglantine,
Elda arrive sur scène rapidement. Elle saute dans les bras d’Elda et l’embrasse sur la bouche.
MOÏRA
En aparté
Oh vois ça mon coco, mon Dieu mais quelle époque !
C’est juste dégoûtant, désorientant et glauque.
LE CRÂNE
Voix off
Etant mort à présent, voici ma vérité :
C’était pour un afghan qu’un jour je t’ai laissé.
ELDA
750 Eglantine, mon cœur
EGLANTINE
Se regardant dans les yeux.
Ça y’est je le quitte.
Je quitte Alban pour toi, ton regard qui m’habite
Chaque jour, chaque nuit, chaque instant un peu plus.
Je lui ai annoncé, juste après l’angélus ;
755 Enfin me voilà libre, arrachée de la pierre,
Libre comme le vent et disponible entière !
Elda, oh mon amour ! Que ne ferais-je point
Pour le blanc de tes yeux, ce blanc souvent trop loin ?
ELDA
Ce que tu viens de faire enrobe tout mon être
760 D’une couche d’azur...
EGLANTINE
Notre vie va renaître !
ELDA
Reste Léopoldo !
EGLANTINE
Largue Léopoldo !
Je t’en prie, largue-le, il ne t’est qu’un fardeau ;
Moïra tend l’oreille.
765 Ecoute-moi, Elda, tu sais combien je t’aime,
Et le temps trop précieux pour qu’il soit un problème ;
Chasse-le pour de bon, et que dans l’océan
De l’avenir nous naisse un tout nouvel élan.
Enfin, regarde-toi, on dirait un zombie.
770 Crois en moi, mon amour, il est une autre vie
Qui te redonnera tant de coloration
Qu’un arc-en-ciel en face aura l’air pâlichon.
Tu es toute élavée, éteinte par cet homme,
Veux-tu finir esclave au milieu de sa Rome ?
775 Veux-tu d’un alcoolique imbu de son pouvoir ? D’un écrivain sans cœur dont le destin est noir ?
Tarir ton existence alors que moi je t’aime
Et que je veux pour toi écrire Le Poème ?
ELDA
Regardant l’appartement.
Je ne sais pas.
EGLANTINE
780 Chérie, il le faut pour ton bien.
ELDA
Je ne sais si je peux.
EGLANTINE
Mais pour lui tu n’es rien !
Oh rien qu’une servante, une simple soubrette,
Qu’une putain qui baise un chiffon sur la tête !
785 Lève les yeux, et vois derrière le rideau
Elles lèvent les yeux vers l’appartement.
Ton homme rondelet et qui te fait la peau ;
Vois-le, verre à la main et l’autre sur son sexe ;
Vois-le et ses défauts que Méphisto indexe
Dans son grand Livre rouge...Ton cœur n’est pas un sourd,
790 Quitte-le pour Mon bien, il le faut pour l’Amour,
Que la situation redevienne lisible...
ELDA
Le quitter, Eglantine, oh non, c’est impossible...
EGLANTINE
Tu ne m’aimes donc plus...
ELDA
Il me faut le tuer.
Moïra se met à tousser et fait tomber son caddie tandis qu’Elda embrasse fougueusement Eglantine. Le vent se lève.
MOÏRA
En aparté
795 Mon Léopoldo, mon fils, est-ce toi en danger ?
LE CRÂNE
A mon humble opinion, si je puis me permettre
En tous cas leur regard donnait sur sa fenêtre.
EGLANTINE
Le tuer mais pourquoi ?
ELDA
Embrassant à nouveau Eglantine
Embrasse-moi encor
800 Mon Amour...
MOÏRA
Oui pourquoi ?
LE CRÂNE
Bah ! Pour qu’il soit mort.
ELDA
Je ne pourrais point vivre en sachant la Vermine,
Il faut tuer le mal, l’abattre à la racine.
805 Tu as raison, chérie, il est temps à présent
Que nous passions à l’épisode suivant, (diérèse)
Si tu m’aimes alors tu comprends qu’un tel acte
Puisse me libérer ; Une balle l’impacte,
Et c’est un trou d’amour pour nous deux qui se créé ;
810 Un poignard dans le cœur et tout est enchanté ;
Une corde à son cou et enfin je respire ;
Un poison dans un verre et me voilà sourire ;
Tuer ce parasite, heureuse je serai,
Tu comprends Eglantine, il me faut le tuer.
815 Et tu l’as si bien dit, je ne suis qu’un zombie,
Qu’un objet de décor, qu’un peu de compagnie,
Pour lui je ne suis rien, rien depuis trop longtemps,
Si encor nous faisions l’Amour de temps en temps,
Mais même pas ça, rien ! Je ne suis qu’une larme !
820 Si tu m’aimes vraiment, ce meurtre aura du charme.
Tu me comprends j’espère ?
EGLANTINE
Lui caressant la joue
Elda. Mais oui bien sûr.
Si pour toi le tuer peut défoncer un mur,
Que derrière ce mur se cache une lumière
825 Laquelle nous permette une vie princière,
Alors, je te comprends. Moi, je veux ton bonheur.
Si ce geste est vital pour un monde meilleur,
N’hésite pas, tue-le, et reviens-moi plus belle,
Belle avec dans ta chaque œil une neuve étincelle.
ELDA
Elda sort un magnétophone de sa poche.
830 Ecoute ça, Chérie, et de l’assassinat
Jamais, jamais l’on ne me soupçonnera !
« S’il n’a point mon roman, sûr que je ne résiste
De vider, d’étriper, de saigner ce fumiste ! »
EGLANTINE
Puis-je savoir qui est-ce ?
ELDA
835 Oh lui, c’est le Pognon,
Son charmant éditeur en panne de raison ;
Facile à remarquer qu’il manque de patience
Et que sort de sa bouche une grande violence.
EGLANTINE
J’ai du mal à saisir...
ELDA
840 Lui, c’est notre assassin.
Le coupable idéal, l’éclair léopoldien !
ACTE II, SCENE CINQ
Reprise de la musique d’Enigma (musique entière). Des éclairs apparaissent, le vent redouble de violence. Elda et Eglantine s’embrassent. Des éclairs jaillissent, l’un sur Léopoldo, un autre sur Alban, un autre sur Pognon, et encore un autre sur Louloutte. Moïra sort son parapluie, le tient dans une main tandis que de l’autre elle tient son caddie. Puis le noir se fait sur la scène dans un grondement infernal. L’on entend les branchages craqués. L’on voit dans un éclair Alban qui tient un révolver, Léopoldo qui s’en va vers lui, se débat pour le lui arracher des mains. Dans un autre éclair, Pognon s’agenouille devant Louloutte et pleure dessus. Dans un autre éclair, Pognon s’en va vers Léopoldo et se met à l’étrangler, des feuilles de papier tombent du ciel. Dans un autre éclair, Elda et Eglantine dansent tendrement. Dans un dernier éclair, Moïra tient la tête de son défunt mari et s’en va vers Léopoldo pour lui parler, on ne voit que de grands gestes. Alicia les rejoint. Tout le monde tombe et finit par se battre au sol. Le noir total se fait, puis tout doucement apparaît un rond rouge sur le sol où se trouvent une corde, un révolver, une fiole de poison.
ACTE II, SCENE SIX
Léopoldo, Moïra
Le soleil réapparaît. Léopoldo entre sur scène, s’en va s’assoir sur le banc, au côté de Moïra.
LEOPOLDO
Le temps est capricieux, bancal comme une chaise,
Indécis, remuant le soleil dans la braise,
Et moi, assis dessus, j’hésite autant que lui,
845 Je ne sais plus comment voir le jour et la nuit.
Je ne sais plus vraiment, je traîne mon image,
Je ressemble à ce ciel dans l’ombre d’un visage
Qui tantôt prend le bleu et tantôt prend l’obscur.
Elda, Alban et moi : Tous allons dans le mur.
850 Ma femme a bien raison, je suis comme d’un prince
Imbu de sa personne, au cœur sourd et qui grince,
Ce cœur improductif qui finit par pourrir
Que je sens entre nous s’éloigner l’avenir.
Un couple passe, main dans main, sautillant et s’embrassant, puis ressort.
Alban, mon cher ami, mon confident, mon Autre,
855 Cette précieuse voix, lui, mon treizième apôtre,
Qui n’aime plus la vie au point que dans ce soir
Ainsi que d’un mégot jeté sur le trottoir Il souhaite la planter, pour qu’un amour repousse,
Qu’il retrouve en le ciel une joie tendre et douce.
Un sans domicile fixe entre sur scène, il pousse un chariot de supermarché, une cigarette à la bouche.
860 Et moi, Leopoldo, ce célèbre écrivain
Aujourd’hui devenu pauvre au creux de la main,
Capable de payer une très jeune auteure.
Oui Madame, à une fille juste majeure
D’acheter son talent pareil à un malfrat
865 Pour l’éditeur, l’argent, et pour mon lectorat.
Ah ça ! Je suis un monstre, un cruel personnage,
Ni plus ni moins qu’un loup échappé de sa cage,
Un loup, ma brave Dame, avec de l’embonpoint.
Au fond la vie je l’aime, hélas j’en suis bien loin.
870 Mais je vous ennuie, sûr, avec toutes mes peines,
J’ai besoin de parler, parler du fond des veines,
Dans ce printemps sans feuille et sans plus de liaisons.
Ma vie est un brancard que portent les saisons.
Léopoldo met la tête dans ses mains. Moïra s’éloigne, restant sur le banc, prenant conscience qu’il s’agit de son fils, le regardant fixement. Le canon d’un fusil apparaît derrière un arbre. Le SDF prend du caddy une cannette de bière qu’il décapsule et boit sans retenu.
ACTE II, SCENE SEPT
Moïra, Eglantine, Elda, Léopoldo
Elda
LE CRÂNE
(Voix off)
Oui Moïra, c’est lui.
EGLANTINE
Chuchotant
875 Tu sais tirer j’espère ?
Car seule en ces moments fonctionne la première.
ELDA
Chuchotant
Pas besoin de savoir, il suffit d’en vouloir.
Et j’en veux tellement, je l’aurais dans le noir !
EGLANTINE
Pourquoi pas le poison ? C’est toujours efficace.
880 Un whisky, un glaçon, et tranquille ça passe.
ELDA
Faisant chut avec son doigt à Eglantine. Chuchotant
Je le hais à tel point que je le toucherais
De l’autre bout du monde avec les yeux fermés.
EGLANTINE
Chuchotant
Faire croire au suicide est tout aussi possible...
ELDA
Chuchotant
Quelle jubilation que de l’avoir en cible !
EGLANTINE
Chuchotant
885 Moi, avec mon mari, j’ai dit tout simplement :
« Je te quitte ! » Et basta...
ELDA
Chuchotant
Mais Alban c’est Alban.
Lui, c’est Léopoldo, le nombril, les vertèbres,
Le Pacha dont je suis la servante - Ô Ténèbres !
890 L’on ne peut que tuer, mon amour, que tuer...
Léopoldo relève la tête.
EGLANTINE
Chuchotant
Tiens, revoilà la tête, avec tout ce qu’il manque.
ELDA
Chuchotant
Eh bien pas pour longtemps !
EGLANTINE
Le reste est à la banque.
ELDA
Faisant chut à nouveau avec son doigt.
Alors comme prévu, je tue l’âme animale,
895 Je l’envoie au « mal dieu »...
EGLANTINE
Chuchotant
D’un joli trou de balle...
ELDA
Chuchotant
Nous partons déposer le fusil chez Pognon...
EGLANTINE
Chuchotant
Enveloppe anonyme...
ELDA
Chuchotant. Triturant la cassette.
Avec un peu de son...
EGLANTINE
Chuchotant
900 Pognon est arrêté...
ELDA
Chuchotant
Jugé...
EGLANTINE
Chuchotant
Puis mis en taule...
ELDA
Chuchotant
Nous serons déjà loin...
EGLANTINE
Chuchotant
905 Dans nos yeux plus de saule...
ELDA
Embrasse-moi, mon cœur...
EGLANTINE
Avant de nous unir.
Elda et Eglantine s’embrassent fougueusement. Moïra se lève, recule doucement tout en regardant Léopoldo.
LEOPOLDO
Ne partez point, restez, c’est à moi de partir.
Léopoldo se lève à son tour, et s’en va. Puis se retourne vers Moïra. Le SDF s’en va s’assoir à la place de Léopoldo sur le banc.
Parler m’a fait du bien. Pardon encor Madame,
910 Mais je n’ai point de mère à qui confier mon drame,
Et vous pourriez être Elle. Au revoir et merci,
J’ai un homme à sauver, Frère plus qu’un ami.
Léopoldo sort de scène. Le SDF fouille dans le caddy de Moïra, en sort la tête de Coco qu’il examine dans tous les sens.
MOÏRA
Doucement., tendant la main.
Je...Mais je suis ta mère...
SDF
Toi, t’as perdu ta tête,
915 Mais, dis-moi, t’aurais pas juste une cigarette.
- PAN
Le SDF s’écroule, tombe par terre. La tête de Coco roule sur le sol. Le SDF est mort.
ELDA
Touché, coulé ! Tu vois, une balle suffit.
EGLANTINE
C’est bon pour son régime...
ELDA
Un mort, ça rajeunit.
MOÏRA
Moïra s’en va ramasser la tête de Coco. Puis se dirige vers le SDF, soulève sa tête pour confirmer sa mort. Puis elle s’affale sur le banc.
C’est donc lui mon enfant, lui mon fils, mes entrailles...
920 Lui, si triste... Et si gros...
LE CRÂNE
(Voix off)
Ah ! Dieu les retrouvailles,
Toujours un grand moment, où la vie tout d’un coup
Reprend de la vigueur, de l’odeur, et du goût.
ACTE II, SCENE HUIT
Alban, Moïra
ALBAN
Ah vous êtes là ! Ouf ! J’ai besoin de votre aide...
Découvrant le SDF mort.
925 Vous...Travaillez...Je vois...
MOÏRA
C’était mon fils...
ALBAN
Oh merde !